13 avril 2011

Chapitre 26 : Il mandolino


Depuis plus d’une semaine et le voyage au cimetière San Michele, la nuit venue, après le souper, Antonella faisait la même promenade qui la conduisait depuis le Palazzo Contarini Minelli dal Bovolo, demeure de da Vinci, jusqu’à la Piazza San Marco.

En descendant l’escalier extérieur en colimaçon elle s’arrêtait pour apprécier à travers les arches la vue panoramique éblouissante au-dessus des toits de Venise plongés dans la nuit.

La rue était presque toujours déserte. Le Campo Marin était un des quartiers les moins fréquentés de Venise. Da Vinci avait demandé à Eleana de toujours l’accompagner. Antonella appréciait ses errances nocturnes qui n’avait d’autres but que de la perdre dans ce labyrinthe de ruelles obscures d’une ville qu’elle ne connaissait pas.

Une fois arrivée à la Piazza San Marco après être passée devant il Plazzo Ducale elle traversait ensuite le Ponte della Paglia, remontait en longeant le Rio Canonica Palazzo jusqu’au ponte del Rimedio afin de rejoindre le Rio Di SAn Zulian et ainsi en longeant les canaux et franchissant les ponts éclairés de torchères la conduisait à travers un nouveau labyrinthe improvisé de nouveau jusqu’au palazzo de da Vinci. Elle montait alors les étages quatre à quatre et pénétrait heureuse, impatiente et essoufflée dans la chambre de da Vinci qui l’attendait.

Elle le trouvait alors sur la terrasse, buvant du thé ou de la vodka, lisant un livre ou fumant de l’opium étendu sur un sofa près de la cheminée. L’un comme l’autre ne ressentaient plus depuis longtemps l’obligation de se parler. Antonella parfois jouait une pièce pour Mandolino, ce petit luth à six cordes doubles dont la caisse bombée avait la forme d’une larme si elle pensait que da Vinci ressentait le désir d’écouter de la musique ou peignait à l’aquarelle une marine ou une scène de rue. Puis elle se déshabillait avant de se coucher. Da Vinci lui avait cédé son lit préférant le sofa puisqu’il ne dormait pas. Il n’avait su lui résister.

Antonella, depuis qu’elle avait pour la première fois envahit son lit, avait pris tout naturellement possession des nuits de da Vinci. Elle ne voulait plus le laisser s’abandonner à la solitude. Elle venait le soir dormir avec lui et il n’avait pu ou voulu lui résister mais avait refusé depuis de partager son lit.

Il savourait ainsi le seul plaisir de la regarder dormir. Sa présence l’apaisait comme l’aurait fait celle d’un ange assoupi à ses côtés. La première nuit, emportée par l’ivresse Antonella s’était offerte. Elle était venue pour cela, s’offrir à un homme qui se dérobait. Devant son refus elle entrouvrit son corsage lui offrant un court instant la vision de ses petits seins adorables aux formes veloutées. Da Vinci ressentit alors une brûlure au fer rouge dont la douleur ébranla sa mémoire mais il n’avait pas cédé. Il en porterait les stigmates et les regrets sans doute le restant de ses jours mais avait-il le choix?

Alors qu’il songeait à cette nuit là, Antonella s’était glissée en silence entre les draps. Son visage reposait sur l’oreiller
Elle s’était endormie comme une enfant épuisée par l’émotion de cette nouvelle vie qu’elle découvrait aux côtés d’un homme qui n’était ni son père ni son amant. Il se rappela alors le dialogue qui s’ensuivit cette nuit où elle avait décidé de le séduire.

— Antonella vous êtes l’être le plus désirable qu’il m’ait été donné d’admirer mais votre abandon est une tentation à laquelle je me dois de résister. Je vous en prie, aidez moi.
— Pourquoi le ferais-je ? Quelle sorte de scrupules vous obsèdent alors que je sais que vous me désirez.
— Vous n’êtes qu’une enfant, je suis un mort vivant. Vous méritez un autre amant qu’un homme à l’agonie.
— Moi vivante, vous ne mourrez pas, je vous l’ai dit. Je tiendrai ma promesse.
— Et quand bien même. Vous agissez par caprice., asséna-t-il, volontairement cruel.
— Vous me pensez frivole? Ses yeux s'inondèrent de larmes. Est-ce ainsi que vous nommez la passion que ressent une jeune fille en âge d'aimer pour la première fois?
— Je ne sais plus quoi penser Antonella, vous me troublez, mais si vous voulez habiter cette chambre alors il faudra renoncer à vos exigences qui me dévorent le cœur.
— Très bien, je cède à votre ultimatum. Vous ne me laissez pas le choix. Mais sachez que je ne perds pas tout espoir.

Il la regarda. Boticelli n’aurait pas hésité à reproduire la grâce de ce doux visage endormi, les yeux fermé sur des rêves impossibles, sa chevelure dorée posée sur l’oreiller et son corps alangui que les draps révélaient comme une sculpture d’ivoire qu’aurait taillée Pygmalion avec un amour infini .





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