21 avril 2011

Chapitre 30 : « l’Amoureux »

Da Vinci goûte à peine du bout des lèvres les linguini alle vongole pourtant accompagnés d’un excellent vin blanc sicilien de la région de Syacuse. Ensuite il demeure seul, le regard sombre, assis sur la terrasse de sa chambre. Il est furieux. 

Antonella a tenu à lui apporter son plat préféré mais après l’avoir salué elle comprend aussitôt à son refus de lui répondre qu’il désire rester seul. En réalité elle sait pourquoi il est de mauvaise humeur. Elle en est la responsable mais ne se sent aucunement coupable. Elle l’observe rapidement tout en se dirigeant rapidement vers la porte de la chambre.
Coiffé, rasé de près, habillé d’une chemise en fil de coton d’Egypte, pantalon laine et soie gris foncé, ceinturon de cuir noir il a meilleure allure que jamais. Avant de sortir elle se retourne et lui adresse un sourire auquel il ne répond pas.

Antonella a fort à faire. Elle s’enferme dans le petit bureau, ouvre la niche murale et en sort le sixième médaillon. Celui-ci représente « l’Adam du sixième jour », « l’Amoureux ». Elle cherche rapidement dans les rayonnages et trouve facilement la documentation dont elle a besoin pour comprendre la symbolique de cet arcane. Mais déjà, étant musicienne, elle sait que le « six » représente l’harmonie, l’équilibre.

Depuis la terrasse de la chambre, Da Vinci regarde sans les voir les eaux bleutés de la lagune, les oiseaux marins qui virevoltent dans le ciel et les voiles gonflées par la brise des navires qui quittent l’arsenal. Le ciel est d’un bleu d’azur, la vue est splendide, c’est un spectacle qui d’habitude l’enchante mais aujourd’hui une douleur insoutenable, un manque insupportable assaille son esprit et son corps. Il pourrait envoyer rapidement ses gens chez quelque marchand quérir ce dont il a si cruellement besoin pour le soulager mais une force inconnue l’empêche de céder à la tentation. Cette force dont il se soupçonnait pas l’existence l’intrigue et depuis il s’interroge jusqu’où il pourra supporter la douleur avant de renoncer. Mais en attendant il songe à Antonella et la colère domine ses sentiments.

Antonella trouve rapidement ce qu’elle cherchait. Un vieux grimoire relié de cuir vieilli aux pages jaunies intitulé « Le livre de Thoth » lui révèle les secrets de l’arcane. Ainsi la lame de  « l’Amoureux » représente hiéroglyphiquement un personnage central, un homme,  entouré par deux femmes dont chacune d’elles encourage notre héros à suivre un chemin particulier. 
Ce que remarque Antonella c’est que cet homme hésite entre les deux femmes. Cette hésitation est matérialisée par les pieds écartés et le buste orienté vers l’une d’elle alors qu’il ignore l’autre. 

Comment-a-elle osé? La nuit dernière rien ne laissait deviner ce qu’elle ferait sans hésiter. Il est à peine minuit, le feu brûle dans la cheminée, Antonella joue du mandolino. Une pièce joyeuse qu’elle interprète avec légèreté. Perdu dans ses pensées, da Vinci allongé sur le sofa prépare sa première pipe d’opium. Il attend ce moment délicieux toute la journée, réservant toutes ses nuits à cette maîtresse opiacée qui le conduira apaisé dans des contrées toujours nouvelles et jamais explorées. Il aime ce moment où il allume la lampe à pétrole comme le gardien allume les feux du phare qui guideront les marins à travers la brume et les récifs.

Antonella comprend rapidement qu’ici, plus que le choix, c’est le doute qui est exprimé dans cet arcane. Les deux femmes symbolisent un choix, celui de l’amour inconditionnel. L’homme devra choisir laquelle il veut aimer. Dans l’image, l’ange n’intervient pas et ne désigne aucune des jeunes femmes. Il n’est pas là pour influencer son choix. L’homme devra choisir seul. Le nombre « six » est l’expression du discernement et du libre arbitre. L’homme doute mais il devra pourtant faire ce choix, il le fera seul et en acceptera les conséquences. Voilà ce que signifie le médaillon qu’Antonella tient dans le creux de sa main.

Da Vinci place l’aiguille au dessus de la flamme de la lampe à pétrole et fait grésiller doucement la boulette d’opium. Lentement il  tourne l’aiguille pour éviter de brûler la précieuse substance. Il reprend alors dans le pot un peu plus d’opium et recommence l’opération jusqu’à obtenir une boulette de la taille d’un pois chiche. Il sent son cœur battre un peu plus vite sous l’aiguillon de l’excitation. L’eau lui vient à la bouche. Il place la boulette d’opium sur le fourneau de la pipe et alors, comme à chaque fois, son corps se tend imperceptiblement, juste avant de s’abandonner dans l’oubli, dès qu’il aura inhalé la première bouffée.

Antonella replace le médaillon dans la niche murale. Les voilà de nouveau en cercle dont le centre demeure vide. Le septième est donc la clé du secret de da Vinci. Où se trouve-t-il donc ? Da Vinci aime jouer au jeu du chat et de la souris. Elle aussi s’amuse, elle sait que le dénouement est proche.
Déjà à voix basse elle énumère en une seule phrase aux accents cabalistiques ce qu’elle a appris de ses recherches. C’est une histoire et comme toutes les histoires vraies ou fictives elles commencent par : « il était une fois »...   
Et les mots de cette histoire s’écoulent comme des paillettes dorées dans un sablier : héros, meurtre, fuite, le « Nomade », Sinbad le Marin, une jeune femme réelle ou rêvée, île, tempête, esprit malveillant, naufrage, opium, trouver l’oubli, recherche de l’amour perdu et enfin l’existence d’une femme réelle que le héros acceptera d’aimer enfin.

Au moment où da Vinci s’apprête à approcher le fourneau de sa pipe de la flamme, Antonella s’arrête de jouer, s’approche et s’assoit en face de lui sur le divan. Elle sait pourtant qu’il n’apprécie pas d’être observé d'aussi près lorsqu’il fume l’opium. Il l’interroge du regard. Que veut-elle ? Elle s’approche et doucement lui prend la pipe d’entre les doigts. Il ne résiste pas. Elle sourit comme on sourirait à un enfant espiègle. Il croit même apercevoir ses lèvres murmurer des mots silencieux. Il se détend, soudain s’impose l’idée qu’elle est venue l’assister. Elle a apprit depuis longtemps déjà tous les secrets de l’art de fumer. L’idée le séduit, il s’abandonne et attend qu’elle officie quand soudain d’un geste vif elle brise la pipe en deux et la jette dans la cheminée. Da Vinci demeure paralysé par la surprise, Antonella ne s’arrête pas là, elle s’empare de la boite de porcelaine contenant l’opium et la brise sur les chenets. Da Vinci horrifié voit l’opium jeté sur les braises prendre feu et se volatiliser. Cette fois il se lève d’un bond et saisit d’Antonella par les poignets.

— Etes vous devenue folle?, s’écrie-t-il, fou de colère.
— Considérez que je suis sans doute folle de vous, si cela peut vous aider à comprendre mon geste, répond-elle sans attendre.
— Qui vous permet de me dicter ma conduite. Furieux, il lui tourne le dos et sort sur la terrasse.
Elle le poursuit et lui dit lentement à voix basse :
— L’amour que je crois ressentir pour vous. Je ne suis pas sûre de vous aimer. Je veux m’en assurer. C’est l’unique façon.
Il se retourne alors et la toise un long moment :
— Que voulez vous dire ? Je ne comprends rien à votre péroraison.
— Ce que vous allez faire à partir de maintenant, comment vous réagirez en décidera pour moi. Elle tourne les talons, sort d’un pas décidé et claque la porte de la chambre derrière elle.

***

La nuit est interminable pour qui ne peut attendre l’aube. Allongé dans son lit, sous les couvertures, Da Vinci tremble de la tête aux pieds. Le feu dans la cheminée ne peut le réchauffer. Il a passé sur sa chemise en fil de coton un gilet en laine d'alpaga mais ses membres sont glacés alors qu’il est brûlant de fièvre. Les yeux grands ouverts il scrute, tapis dans l’obscurité, les fantômes du passé. Ils reviennent en une cohorte dans des bruits de chaînes. Il sait qu’il ne trouvera pas le sommeil.
La porte s’entrouvre doucement. Il devine plus qu’il n’entend une ombre s’approcher. Il reconnaît son parfum aux essences de fruits frais. Antonella se glisse sous les couvertures, s’allonge entre ses bras qu’elle referme sur sa poitrine et doucement lui dit :
— Pardonnez moi.



2 commentaires:

  1. Quel plaisir de retrouver ta plume et de découvrir les aventures de da Vinci et Sinbad.. ;)
    J'attends la suite avec impatience !

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  2. Merci ma Julie.... tu es adorable. Moi aussi je suis heureux de te retrouver...

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