19 avril 2011

Chapitre 29 : Linguini alle vongole

— Voyez vous Antonella, pour préparer les linguini alle vongole il faut d’abord rincer les palourdes dans plusieurs eaux.

Joignant le geste à la parole, Eleana se mit à remuer vivement avec les mains les coquillages dans une bassine remplie d’eau.
— Et ce jusqu'à ce que l'eau soit claire, afin que tout le sable soit ôté. Voyez je les dépose ensuite dans de l’eau fortement salée pendant une demi heure et je vous laisserai ensuite les rincer.
Pendant ce temps j’émince finement l'oignon et le fais-le fondre doucement dans deux cuillères à soupe d'huile d'olive.
Soyez gentille écrasez la gousse d'ail avec quelques grains de gros sel et la cuillère d'huile restante.

Antonella ne savait où donner de la tête répondant aux consignes de la matrone sicilienne en riant de bonheur. Enfant, elle adorait jouer dans la cuisine lorsque sa mère cuisinait. Elle épluchait les légumes et les fruits, nettoyait les poissons, adorait pétrir la pâte à pain à deux mains sur la grande table en bois pour la voir ensuite lever avant d’être mise au four. Elle aimait les odeurs d’épices et de viande grillée à la broche de la cheminée. La cuisine d’une grande maison est un univers magique dans les yeux d’une enfant affamée.

— Maintenant j’émonde la tomate et la coupe en petits cubes. Eleana ne se distrayait pas et agissait avec rapidité. Elle déposa les coquillages dans une marmite en fonte, et la plaça sur la cuisinière.
Regardez, messieurs les coquillages daignent s'ouvrir. Antonella, soyez gentille, jetez ceux qui restent clos.
Ensuite je retirerai les palourdes de la marmite afin de récupérer le jus obtenu que je filtrerai.

Elle prit alors l’air d’un précepteur devant un élève studieux, avide d’apprendre sa leçon :

— Quand l’eau salée bouillira j’y ferai cuire les linguini "al dente", ils seront cuits mais encore légèrement "résistants" sous la dent. Quand les pâtes cuiront, je verserai le jus de coquillage dans la poêle où l'oignon sue gentiment. J’ajouterai le beurre froid coupé en morceaux et l'ail écrasé, et remuerai jusqu'à ce que le beurre soit fondu. J’ajouterai alors le persil plat et la tomate. et remuerai pour que l’alchimie se produise. Car il s’agit bien d’alchimie répéta d’un air mystérieux Eleana avant d’éclater de rire devant l’air soudain sérieux d’Antonella. Toutes deux s’assirent et se servirent un verre de vin blanc frais pour étancher leur soif et célébrer leur toute nouvelle complicité.

Eleana s’était rapidement prise d’affection pour cette jeune fille au caractère vif et courageux. Depuis son arrivée au palazzo, elle l’avait observée avec attention. Après avoir fait montre d’une réserve bien naturelle pour une sicilienne, toutes ses défenses avaient facilement cédées et le charme d’Antonella avait fait le reste. Lorsque la jeune fille avait investi la chambre de da Vinci, elle ne fit rien pour l’en dissuader, elle était curieuse de voir la réaction de celui qui n’ouvrait sa chambre depuis des années qu’à la seule compagne dont il supportait la présence : l’opium.

Antonella s’assit en face d’Eleana et la regarda avec respect. Elle savait que depuis toujours elle accompagnait la vie de da Vinci. Qu’il n’avait pour elle aucun secret. Elle avait appris à aimer cette femme aux manières presque brutales, de celles qui vous étouffent en vous étreignant pour vous exprimer leur affection.
Dans l'intimité de cette atmosphère parfumée du fumet odorants des linguini alle vongole, dont le dessin indéchiffrable des fines pâtes entremêlées dans le plat de porcelaine illustrait le mystère d’une histoire qu’elle tentait de percer, elle lui demanda doucement, presque comme une prière :

— Cette femme n’a jamais existée ?

Eleana la regarda en souriant, approcha sa main doucement de son visage pour lui caresser la joue et répondit :

— Quelle importance mon enfant ?

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