03 avril 2011

Chapitre 16 : Loki

Anselmo sera pardonné, mais il devra partir. Antonella ne saurait tolérer plus longtemps ce qu’elle nomme dorénavant son « odieuse présence » au palazzo. A l’aube, ses affaires rassemblées, après avoir rejoint la terre ferme en gondole, Anselmo montera dans une calèche qui le conduira à Roma où il fera état de l’avancée de ses travaux aux membres de l’Accademia. Les deux cents lieues qui le séparent de la capitale: Padova, Ferrara, Bologna, Prato, Arezzo, Roma, seront les étapes douloureuses d’un chemin de croix qui le séparera progressivement d’Antonella, durant lequel il devra méditer et regretter la douleur qu’il a provoquée. Ce sera sa rédemption. C’est le sort qu’elle lui inflige pour prix de son pardon.

Il n’ose pas croiser le regard d’Antonella quand il lui dit au revoir. Celle-ci a changé en l’espace d’une nuit. Cette épreuve l’a métamorphosée. Da Vinci l’observe du coin de l’œil et il constate une fois encore que les jeunes filles deviennent des femmes une fois qu’elles ont connu amertume et désillusion.
Les femmes s’engendrent toujours dans la douleur.

Antonella domine et contrôle maintenant la situation. Elle s’appuie sur la bras de da Vinci et toise son amant avec une froide indifférence. Elle n’a jamais été aussi belle. Il n’est pas encore parti qu’elle lui tourne déjà le dos et s’éloigne en compagnie d’Eleana vers le palazzo.

Da Vinci donne mille conseils et recommandations à Anselmo sur son voyage afin de l’étourdir et le distraire de son chagrin. Il lui sourit et tente un trait d’esprit en évoquant les facéties de la Comedia dell’Arte afin de lui faire comprendre que sa situation n’est pas désespérée.

—Les femmes savent bien mieux pardonner que les hommes, le rassure-t-il. Leur bonté et empathie est bien plus naturelle que la notre.

Enfin, il lui adresse un dernier signe de la main alors que, depuis la gondole qui s’éloigne sur la lagune, Anselmo tente d’apercevoir au loin une dernière fois Antonella.

Celle-ci est déjà dans le bureau lorsque da Vinci la rejoint. Elle tient dans ses mains le troisième médaillon.
Celui ci représente un corbeau noir. Sous l’oiseau, une légende gravée porte le le nom de Loki.

— Parlez moi de lui da Vinci, je vous en prie. Son ton cajoleur en dit long sur le plaisir qu’elle prendra dorénavant à exercer son pouvoir de séduction sur un homme qu’elle sait inoffensif.

— Les romains l’appellent Corvus Corax. Le Grand Corbeau. Un oiseau impérial qui pullule sur l’île de Lipari.
Loki est le nom d’un Dieu de la mythologie nordique, un maître des tromperies, éloquent, rusé, cruel et fourbe. Ce Dieu peut aussi se métamorphoser en poisson, cheval, mouche ou encore en oiseau, et également changer de sexe. Ce dieu malveillant est à l’origine du drame que j’ai connu ou du moins le personnage que j’étais il y de cela si longtemps et qui s’appelait « Sinbad ». Je vois que vous avez trouvé dans cette niche les médaillons qui représentent les détails de cette vieille histoire.

— Une vieille histoire, dites-vous? Elle semble pourtant encore vous habiter, souligne Antonella.

— On n’oublie jamais un passé douloureux, admet da Vinci. On finit par le tolérer comme une vieille cicatrice qui ne disparaîtra jamais et qui réveille parfois une douleur que l’on croyait éteinte.
— Racontez moi. Je vous en prie. Quel est le drame qui s’est noué à Lipari? demande-elle d’un ton énigmatique.
— Je vous le raconterai mais pour cela vous devrez m’accompagner dans un lieu particulier. Cela sera l’occasion de vous faire découvrir Venise de la plus belle des façons.



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