11 avril 2011

Chapitre 24 : L'Univers et les Mondes

— « Nous déclarons cet espace infini, étant donné qu'il n'est point de raison, convenance, possibilité, sens ou nature qui lui assigne une limite. »

Bartolomeo di Bariani
Le cardinal Bartolomeo di Bariani regarda son interlocuteur avec méfiance. Le cardinal était encore un homme jeune bien que son visage empâté et son nez top rond le vieillissait. Il avait le regard noir, le front marqué de rides profondes qui trahissaient une constante préoccupation et un air sévère destiné à informer son interlocuteur qu’il n’appréciait pas perdre son temps.

—Voulez-vous bien me répéter ce que vous venez de dire?

Luigi Caccavelli
Luigi Caccavelli était un jésuite à la silhouette famélique et au regard perçant. Tous deux se trouvaient dans la salle de réunion de l’Académie pontificale des sciences du Vatican. Il répondit aussitôt :

— C’est ce que prétend Giordano Bruno dans son dernier ouvrage : L'Infini, l'Univers et les Mondes. De nombreux membres de notre compagnie partagent son intuition.
A force d’ausculter l’univers sous toutes ses formes à des distances et des âges toujours plus lointains nous voici confrontés à de véritables énigmes. Nous nous perdons en conjonctures sur la forme de l’univers. Autant de questions fondamentales qui si on s’ intéresse à la cosmologie mettent la communauté religieuse en ébullition faute de réponses fournies par les télescopes.


Giordano Bruno
Il nous faut donc faire preuve d’imagination. Et celle d’envisager l’existence d’univers parallèles voisin du nôtre, ou niché dans des dimensions invisibles ou ayant précédé le nôtre pour expliquer certains phénomènes ouvrent un véritable feu d’artifice intellectuel qui se nourrit de poésie et revisite la philosophie.

Le cardinal Bartolomeo di Bariani regarda de nouveau son interlocuteur en songeant que s’il ne tenait qu’à lui il l’aurait immédiatement fait soumettre à la question et jeté sur un bûcher en compagnie de cet hérétique de Giordano. Le Vatican avait déjà eut assez de mal à digérer la théorie de la rotondité de la terre pour imaginer maintenant des univers multiples, comme les têtes d’une hydre maléfique. Cela commençait à bien faire.

— Comment des univers pourraient-ils exister? demanda-t-il du bout de ses lèvres adipeuses. Comment imaginer les preuves de tels monde parallèles?

— Il est sûr que que leur découverte serait de la même ampleur que celle de l’existence d’une vie extra terrestre, s’enthousiasma le jésuite.

Le cardinal Bartolomeo di Bariani manque s’étrangler mais le laisse continuer.

— Les univers multiples existent depuis toujours. On les trouve chez les épicuriens, Démocrite, Lucrèce et on les redécouvre aujourd’hui avec Giordano Bruno et Rabelais.
A l’évocation de Giordano Bruno pour la seconde fois, ce philosophe païen qui tente de montrer la pertinence d'un univers infini, peuplé d'une quantité innombrable de mondes identiques au nôtre, le cardinal Bartolomeo di Bariani pense que cette fois Luigi Caccavelli a dépassé les bornes. Si le jésuite aime citer les grecs alors il lui aurait pu lui rappeler Platon : « Pourquoi s’encombrer avec d’autres mondes si on a déjà du mal à déchiffrer celui ci ? ».

— Bien, bien, dit-il d’un ton placide qui ne trompe personne tout en se levant pour montrer que l’audience était terminée. laissez moi votre dossier. Il sera examiné avec toute notre bienveillante attention.

En sortant à pas feutrés Luigi Caccavelli croisa un jeune homme au visage pâle escorté du secrétaire du cardinal qui pénétrèrent dans l’immense salle aux plafonds décorés de fresques célestes, au moment où il en sortait. Il entendit la voix du cardinal le saluer:

— Entrez Anselmo d'Ancône, je vous attendais, asseyez-vous, dit-il en congédiant d’un geste de la main son secrétaire.

Anselmo
Anselmo était épuisé, le voyage depuis Venise avait été un cauchemar. Il n’avait pu trouver le sommeil depuis deux jours. Chaque lieue parcourue qui l’éloignait d’Antonella lui paraissait un voyage sans retour. Il maudissait sa conduite. Comment avait-il pu se conduire ainsi. L’ivresse n’expliquait pas tout. Certes, Lucia Bartolomeo da Taviani, était une créature divine qui respirait tous les désirs que la luxure peut inspirer mais il ne s’expliquait pas sa conduite. Il se rappela malgré lui le baiser qu’ils avaient échangé à la dérobade et de Lucia l’invitant en haletant dans la pénombre de la terrasse à poser sa main sur son corsage de velours grenat qui tenait prisonnier deux seins gonflés et laiteux qui ne demandaient qu’à être libérés. Dans un élan de rédemption il se serait jeté à genoux devant le cardinal pour le prier de le confesser de cet impardonnable péché.

— Qu’avez-vous appris d’intéressant Anselmo ? Vous le savez, le secret de da Vinci ne changera pas l’avenir de l’Eglise mais nombreux sont les membres de l’Académie impatients de voir résoudre cette énigme qui nous tient en haleine depuis longtemps. Alors, ne me faites pas attendre racontez moi ce que vous avez trouvé.

— Excellence, il est maintenant de notoriété publique que da Vinci et Leonardo da Vinci, le peintre, partagent le secret qui nous intrigue tous. Nous savons aussi que Leonardo ne le révélera jamais. Ce n’est pas dans sa nature, Arnaldo Antonelli, un critique d’art lors d’un dîner chez da Vinci me l’a confirmé. Il a trop le goût du secret. Son œuvre est construite sur cette ambiguïté. Leonardo est l’ami de Luca Pacioli le mathématicien, César Borgia, Nicolas Machiavel avec qui il entretient son inclination pour l’intrigue et le secret. Il ne dira rien.
Nous savons par contre que da Vinci a toute liberté pour révéler ou non ce secret. En réalité le secret lui appartient. Seulement il prétend que les médecins le considèrent condamné. Il serait malade, sur le point de périr dans quelques semaines. Une patiente enquête nous laisse penser qu’en réalité il souhaiterait se quitter la vie pour laquelle il ne ressent que tristesse et dégoût.
— Se suicider?, interrogea le cardinal, soudain intéressé.
— C’est le plus vraisemblable, votre Excellence.
— Il va donc falloir faire vite, s’inquiéta le cardinal. Qu’avez-vous appris de plus?
— Il semblerait que l’idée d’envoyer deux jeunes étudiants en histoire de l’art, moi même et Antonella Landini semble avoir été une bonne idée. Nous sommes officiellement venus pour l’interroger sur ses souvenirs d’enfance avec Leonardo da Vinci afin de rédiger une étude historique sur le peintre. Il n’est pas dupe de la réalité de notre projet mais il ne semble pas s’en offusquer, je crois même qu’il se divertit de notre situation.
— C’est à dire? demanda le cardinal.
— Nous ne représentons aucune menace à ses yeux, répondit Anselmo. Au contraire je crois avoir compris qu’il a laissé suffisamment d’indices afin que nous parvenions à nos fins, jouant avec nous comme un chat avec des souris.
— Mais encore?, insista le Cardinal. Quelle et votre conclusion?
— Le secret est dans l’interprétation de 7 médaillons qui sont mis en évidence dans un bureau qu’il a mis à notre disposition. Ceux-ci disposés à la manière d’une machine à remonter le temps résument la vie de da Vinci et doivent nous conduire au septième qui nous est encore caché et qui serait la clé de voûte de son histoire. En fait il s’agit somme toute d’un banal drame amoureux. Rien de très passionnant mais que nous devons connaître si nous voulons aboutir. Je n’ai qu’un doute...

Anselmo hésita. D’un geste de la main le cardinal invita le jeune homme à poursuivre sans attendre :

— Ce secret révélerait l’existence d’un monde ou univers parallèle.

***

Le jour s’était levé sur le cimetière San Michele avec douceur comme pour apaiser le drame de la nuit. Les premiers rayons de soleil caressaient les coupoles de l’église de San Michele in isola. Au loin Venise s’éveillait et les premiers navires quittaient les quais. Antonella avait disparue. Da Vinci devina où elle s’était rendue. Il la trouva près de la chapelle regardant la sculpture de Loki.
Da Vinci s’approcha en silence et demeura derrière elle, comme son ombre, à trois pas de distance. La jeune fille devina sa présence plus qu’elle ne l’entendit. Elle tourna son visage vers lui :
— Et la tombe,...
Elle laissa sa question en suspend.
— Oui, souffla da Vinci, vous avez deviné, elle est vide. Cette chapelle n’abrite que mes souvenirs et la promesse de me voir y reposer bientôt.
Antonella regarda de nouveau le tombeau et d’une voix étrangement assurée répondit :
— Je vous en empêcherai.

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