Le récit de la vie d’un homme commence par le portrait de sa mère. Pardonnez ma brutalité Antonella mais ma mère était une putain. Pourquoi en avoir honte? Elle était belle et excellait dans son métier. Son lit ne désemplissait pas. Pourtant ce n’est pas par vocation qu’elle vendait son corps alors qu’elle n’était encore qu’une enfant.
Ma mère était orpheline et n’avait pas treize ans quand elle fut forcée, -à l’époque on ne disait pas violer-, par un marchand de passage dans le château du petit village de Vinci, près de Florence, d’où je suis originaire et où elle était venue vendre du miel et des fruits.
L’homme l’entraîna en la tirant par les cheveux. Une fois dans sa chambre il la jeta sur son lit, la frappa et retroussa ses jupons. Il la garda prisonnière une nuit entière. Vous devinez la suite.
Le marchand fut rapidement jugé. Le coupable fut condamné à écouter une courte admonestation prononcé du bout des lèvres par un juge corrompu et au versement de dommages et intérêts à la victime, dont le montant fut fixé à quatre pièces d’or.
Pour vous donner une idée de la sévérité du jugement c’est le prix payé par un voleur pour dérober un mouton.
Six mois après le procès elle accouchait de son premier bâtard, un prématuré, mort né. La même année elle devint putain, una puttana, elle n’avait pas vraiment le choix.
Ma mère avait les plus beaux yeux du monde. Enfin ce que dit la légende. Ils étaient couleur d’émeraude, d’une eau si limpide que l’on si serait noyé. Mais peu après « l’incident » comme elle disait pudiquement, ils changèrent progressivement de couleur et devinrent gris acier. Curieux non?
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Vinci |
Je fus le premier de ses huit enfants, dont trois moururent à peine sevrés. Logiquement on m'appela "da Vinci", du nom du village où j'étais né.
Arrivé le premier j’eus le privilège de connaître mon père. Il s’appelait Orlov, un russe originaire d’un port de la Mer Noire, il revenait chaque année à Vinci pour ses affaires et pendant des années il a loué les services de ma mère et m’apportait des cadeaux. Il m’aimait bien. Je n’eus pas à me plaindre. Seize ans après, une fois devenu orphelin, je le rejoins et il m’apprit à naviguer et me révéla avant de mourir qu’il était mon père. Il faut dire que je m’en doutais tant nous nous ressemblions comme deux gouttes d’eau.
Mais Antonella, je vous vois pâlir devant la violence de mon récit. Il est vrai que votre vie commence avec la Renaissance et vous ne soupçonnez pas la vie que nous menions au moyen-âge. Mais cette histoire a un dénouement heureux.
A l’âge de seize ans, j’étais déjà un sacré gaillard, aussi fort que votre ami Anselmo qui vous accompagne.
Après avoir mené une minutieuse enquête je retrouvais le marchand qui avait martyrisé ma mère. Jour et nuit j’épiais chacun de ses mouvements. J’avais forgé moi même une lame courte et aussi fine qu’un stylet. Au bout de quelques semaines je l’abordais au sortir d’une taverne où il était familier et l’entraînais dans un passage déserté. Sans un mot je lui enfonçais lentement la lame sous la quatrième côte sternale, là où son cœur paniqué battait ses derniers espoirs. Il ne s’agissait pas, vous l’avez compris, de le tuer sur le coup mais de faire le saigner comme un pourceau. Il me regardait avec terreur et incompréhension pendant que je scrutais son regard d’où la vie s’enfuyait. Et lui glapissait comme un cochon qu’on saigne : « Perché, perché ? » J’avais attendu sa question, je savais qu’il allait me la poser. Qu’il allait me demander « pourquoi? ». C’est le moment précis que j’avais choisi pour enfoncer ma dague au plus profond de son cœur exsangue et de lui cracher au visage.
En avez-vous appris un peu plus sur moi, Antonella?
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